http://germainbonnel.wordpress.com/2014/05/15/anthologie-de-la-poesie-douzbekistan-tome-1/
On peut trouver des livres surprenants dans une bibliothèque universitaire et celui-ci en fait partie. Après l’anthologie de la poésie persane, j’ai trouvé une Anthologie de la poésie d’Ouzbékistan. Par curiosité, je l’ai emprunté et je n’ai pas été déçu. Un poème extrait de ce livre a déjà été publié sur ce blog mais je n’avais pas pris le temps de lire le livre en entier.
Je propose ici de présenter quelques auteurs de ce livre ainsi que de recopier quelques poèmes.
Dans le premier volume de cette anthologie, les poèmes vont du XIIe siècle à la première moitié du XXe. Le premier poète présenté est Hodja Ahmad Yassavi (1105-1165) et le dernier est Chulpon (1897-1938).
Le recueil commence par une présentation dans laquelle Hamid Ismailov explique que quand son fils de 10 ans va dormir – et comme depuis toujours -, il lui chante des poèmes qui sont dans ce recueil avant de dormir. C’est un héritage familial : son grand-père aussi lui lisait ces poèmes dans les mêmes conditions.
Les trois poètes qui m’ont marqué dans ce recueil sont Alisher Navoï (1441-1501), Babour (1483-1530) et Mashrab (1657-1711)
Navoï était un homme d’Etat, philosophe et poète qui a beaucoup écrit. Il est né et est mort en actuelle Afghanistan (Hérat). Les poèmes présentés ici abordent différents thèmes tels que la nature, les sentiments, le rapport à soi… Les poèmes (comme ceux des autres auteurs qui seront évoqués) finissent tous par une sorte de morale. Par exemple :
Navoï, égaie avec du vin la demeure de ton coeur :
Dans la maison où coule le vin la tristesse ne coule pas. (p.38)
Ou encore :
Navoï, il faut couper ta langue, sacrifier ton âme…
Entre expression et perception aucune différence. (p.40)
Mon poème préféré de cet auteur dans ce recueil est le suivant :
Sur le musc de la nuit, l’hiver incrédule verse sa poudre d’argent.
Pour le plaisir, l’hiver mêle le blanc et le noir.
En Inde, pas de neige, mais cette nuit
L’hiver insouciant lâche ses blancs saris.
Les hommes de l’obscurité ont des couleurs mais avec la neige
L’hiver éclaire est blanchit tous les noirs.
L’hiver impose cette règle juste de boire dans les maisons,
Par tradition, du vin blanc pour illuminer le visage de Dieu.
L’hiver chauffe la soirée de feux, de vin les hommes.
Ne dites pas qu’il fait froid.
On dit que l’hiver appelle le vin,
Que c’est de sa faute si quelqu’un meurt de froid.
La vie est dure à ceux dont la maison est en ruines
Mais si votre taudis est de vin, son architecte en est l’hiver.
Si tu veux t’installer dans l’éternité, bois des coupes de vin :
L’hiver, le vin du matin dessoûle de celui de la veille.
On dit, Navoï, que l’enfer est vapeurs et nuages brûlants
Mais que l’hiver, de sa neige , sa glace et son froid, en détache. (pages 44-45)
Le deuxième auteur est Babour : très peu de choses sont indiquées sur lui. Il était descendant de Tamerlan (1336-1405) et a écrit de nombreux ghazals. Il est né à Andijan (en actuelle Ouzbékistan) Ses poèmes sont mélancoliques : les thèmes renvoient à des échecs amoureux, à l’approche de la mort… C’est assez pessimiste mais les poèmes sont profonds et sont “philosophiques”. Le poème que je choisis est le suivant :
Quand le papillon apporta ta lettre, ce mendiant s’est animé,
comme si lui-même pour s’animer l’avait apportée.
Séparé de ton visage solaire, de tes dents de perles, ô ma lune,
Les larmes de mes yeux font cent gouttes et autant de perles.
Tu ne montres pas ton visage, envoie-moi une boucle des cheveux
qui le cachent car si je ne peux le voir directement, que ce soit par surprise.
Ses yeux ivres ont détruit le foyer de ma foi.
Ce n’est que moi, mais ô, amie, le foyer du vin et le vin sont détruits.
Séparé de la bougie de ta beauté, Babour s’inquiète,
Venant, comme papillon, tourner encore autour de ta tête.
Enfin, le troisième auteur est Mashrab : d’après la présentation du livre, il est né à Namangan, en actuel Ouzbékistan. Il a été pendu pour panthéisme.
Les poèmes donnés ici sont plus mystiques. Ils restent pessimistes mais ce n’est pas le même que celui de Babour. On est dans “l’errance”. L’auteur cherche à comprendre qui il est. Les métaphores du vin et du désert reviennent dans ces poèmes – comme chez les autres – mais en rapport avec l’errance.
Le poème que j’ai choisi est le suivant :
Celui qui souffre, pleure près de son amour,
Ne conserve en son coeur nul regrets mais les confie à son amour.
Comme un rossignol muet devant un jardin fleuri,
Je pleure toujours à grands sanglots devant elle.
Comme Mansour Hallâdj, je bois le vin de la Vérité :
Je pleure devant le gibet ; les astres en ont décidé ainsi.
Qui décide de boire de ce vin devra, le jour du jugement dernier
Rendre des comptes au Tout-puissant.
Fou de Mashrab, ne dévoile pas ton secret aux hommes
Devant le soupirant, tu dois pleurer, et pleurer encore.
Il y a d’autres poèmes plus joyeux comme ceux de Loutfi (1366-1465) (pages 25 à 34) du recueil, mais tout ne peux pas être présenté et il a fallu faire des choix.
J’espère par cet article vous donner envie d’en savoir plus sur ces poèmes et de les lire en entier – c’est très rapide en plus -.
Bibliographie :
Ismailov H & Balpe J-P (2008) Anthologie de la poésie d’Ouzbékistan, Paris : Editions du Sandre